Accueil > Tracts > L'identité nationale est un mythe !
  •   |   {id_article}  |  
      |  
  • Article

4 pages du groupe de Strasbourg

L’identité nationale est un mythe !

Le mardi 19 janvier 2010

En novembre 2009, le gouvernement français a lancé un « grand débat sur l’identité nationale ». Les média ont relayé les réactions indignées de la gauche, nombreux sont ceux qui s’insurgent de la manœuvre. Et pourtant, le concept n’est pas nouveau, et il est loin d’avoir toujours été l’apanage de l’extrême droite. Pourquoi le terme refait-il surface ces dernières années ? Et qu’ont à dire les anarchistes sur cette notion « d’identité nationale » ?

Petite Histoire de l’identité nationale

La notion ou le concept fait son apparition en même temps qu’entre en jeu le concept d’Etat-nation. En France, on la retrouve donc sans surprise après la révolution de 1789 pour cimenter le nouveau régime. Plus tard, la guerre de 1870 est un tournant et cela non seulement en France mais aussi en Europe car c’est à cette époque que va s’imposer l’Etat-nation tel que nous l’appréhendons aujourd’hui.

C’est donc à partir de 1870 et de l’établissement de la IIIème République sur les cendres de la Commune que « l’identité nationale » va prendre corps, même si on la retrouve plutôt sous des appellations différentes telles que le « caractère national », « l’âme » ou encore la « personnalité » de la France. La notion est donc finalement très républicaine, car il y a un besoin essentiel de constituer une communauté autour de certaines valeurs sous peine de voir l’Etat-nation péricliter. Après la défaite de 1870 contre la Prusse, la IIIème République ne va pas lésiner sur les moyens pour créer cette soi-disant harmonie nationale.

L’école républicaine de Jules Ferry assénera des valeurs nationalistes et créera tout un ensemble de héros nationaux qui sont autant de figures auxquelles les petits Français devront s’identifier. On n’oubliera pas de verser deux ou trois larmes sur la perte de l’Alsace et de la Moselle et d’entretenir l’esprit de revanche. Pour qui en doutait encore, le nationalisme est loin d’être réservé à l’extrême-droite, la gauche et la droite sont rarement en reste !

Une identité nationale fictive, instrument de propagande

La France n’existe pas ! L’Etat-nation, tout comme l’identité nationale, ne sont que des constructions fictives. Les frontières mêmes du territoire français ont longtemps été mouvantes et incertaines. Et elles n’ont aucunement été tracées dans le respect d’une quelconque logique culturelle (comme le voudrait pourtant la notion d’identité nationale). Elles sont plutôt le résultat de rapports de force entre Etats et de raisons géostratégiques. Preuve en est que l’identité nationale est mise en avant quand elle peut servir l’Etat capitaliste et mise de côté quand le profit l’exige.

Aujourd’hui, il faudrait que l’on soit fier d’être Français et défendre haut et fort les symboles de la République (drapeau, Marseillaise etc.). Or comment pourrions-nous être fiers de quelque chose qui pour nous définitivement n’existe pas et n’est qu’une construction fictive qui a pour but d’opposer les individus ?

L’identité nationale a deux objectifs, cimenter l’Etat-nation et faire taire tous les mécontentements sociaux. Pour cela, les gouvernants tiennent un discours simple : la nation est sans cesse en péril, menacée à la fois par l’ennemi extérieur et intérieur. En cent ans, finalement, peu de choses ont changé. A la fin du XIXe siècle on agitait l’épouvantail allemand, aujourd’hui on stigmatise les immigrés. Face au péril extérieur, aux dangers d’envahissement perpétuel, il faut donc faire front comme un seul homme et resserrer les rangs autour du drapeau. Toute revendication sociale ne pourrait être que le fait de traîtres à la nation visant à affaiblir le consensus national au profit d’ennemis imaginaires. C’est là qu’intervient le deuxième volet du concept : l’ennemi intérieur. Celui que l’on soupçonne de ne pas être un bon Français, celui qu’on suspecte de collusion avec l’étranger. Au XIXe siècle, l’ennemi intérieur peut prendre différents visages, que ce soient les populations qui habitaient les faubourgs ouvriers et qui font peur à la bourgeoisie, les juifs, les intellectuels, les immigrés, les militants ouvriers etc. Aujourd’hui, plus de cent ans après, les représentations de l’ennemi intérieur ont finalement assez peu changé, le travailleur immigré est toujours perçu comme une menace pour la nation et les habitants des quartiers populaires (les « jeunes de banlieue ») nourrissent tous les fantasmes. La criminalisation des acteurs du mouvement social vise à les assimiler à cet ennemi intérieur.
La notion d’identité nationale vise à faire taire toute forme de revendications sociales.

La nation ne saurait les tolérer car elles nuiraient à sa compétitivité économique au niveau international et affaibliraient l’Etat. L’identité nationale est une arme créée de toutes pièces pour lutter contre les revendications des travailleurs.

Pourquoi poser aujourd’hui la question de l’identité nationale ?

Indéniablement, la notion d’identité nationale est fédératrice, surtout lorsqu’on veut nous faire croire que cette fameuse identité est « en péril ». Les insinuations sont nombreuses dans le discours de ceux qui nous gouvernent : immigration, islam, communautarisme, mondialisation, et même, dans une certaine mesure, l’Union européenne… autant de dangers qui menaceraient notre identité. Autant de périls qui réclament un sursaut, pour sauver « la nation »… En oubliant, si possible, que depuis un an les couches les plus fragiles de la société subissent de plein fouet les effets de la crise économique, en oubliant que les services publics sont peu à peu démantelés, que l’exploitation salariale est d’autant plus féroce que les chômeurs prêts à accepter n’importe quelles conditions de travail sont plus nombreux. Le capitalisme a encore une fois été « sauvé », et il repart, bon pied bon œil : c’est le moment pour le gouvernement de faire diversion, et de focaliser notre attention sur la « nation en danger ». Fédérer, resserrer les rangs, pour qu’il ne vienne pas à l’idée des exploités que c’est le moment de protester, de descendre dans la rue, de refuser de payer de leur bonheur la survie du système capitaliste. Sarkozy tente de faire jouer l’identité nationale contre l’identité de classe.

Quelle est notre identité ?

Le « grand débat » lancé par le gouvernement, avec son habillage démocratique, laisse à penser que chacun apportera sa pierre à l’édifice : chacun a son idée sur ce qui fait « l’identité » des Français, c’est à dire sur ce qui les rend plus ou moins « identiques » les uns aux autres (et, disons-le encore, « différents » des autres, des étrangers). Les réponses sont prévisibles : la question culturelle va entrer en jeu. La langue française, le fait d’être né, de vivre, de travailler, d‘avoir fondé une famille dans les frontières du territoire français, le fait d’avoir obtenu des papiers français, celui d’avoir suivi une scolarité en France, d’avoir étudié l’histoire de France, d’être familier de la « culture » (artistique, philosophique) française, de manger selon les coutumes françaises, tous ces éléments, et bien d’autres encore, nous semblent être au fondement de notre identité culturelle, et, le glissement est facile, de notre nation.

Certes, ces critères distinguent les Français des « autres »… mais ces différences sont-elles si nettes, peuvent-elles être ainsi cataloguées ? Il suffit de prendre un peu de recul vis-à-vis des hystéries nationalistes pour se rendre compte que le « peuple » ou la « culture » français sont loin d’être des entités clairement identifiables. Tous les Français sont des descendants plus ou moins lointains d‘immigrés, et notre culture se construit tous les jours grâce aux échanges avec d’autres cultures. Une culture figée, qui refuse ces apports extérieurs, est une culture morte. Quant à l’unicité de cette culture française, les Alsaciens sont bien placés pour savoir qu’elle n’existe pas puisque chaque région a ses spécificités en matière de langue, de gastronomie, de coutumes et d’habitudes diverses. On pourrait aussi se poser la question de tous ceux qui, de par le monde, ont un rapport plus ou moins lointain avec la France : les pays entièrement ou partiellement francophones sont encore nombreux, y compris hors d’Europe… en bref, la culture française est loin d’être quelque chose de clairement défini, et elle n’a aucun rapport avec la fameuse « nation ».

De faux dangers

Les initiateurs du débat national tentent de nous faire peur : l’identité nationale pourrait se perdre, sous le coup des apports « étrangers » trop massifs, on pourrait oublier les grandes œuvres artistiques, les penseurs, la langue qui « nous unit », etc. N’est-ce pas sous-estimer largement l’attachement que les gens portent à cet héritage ? Il survit bien tout seul, sans avoir besoin d’être protégé, orné du label « français », porté aux nues comme vecteur « d’identité nationale ». Disons-le encore : la nation n’existe pas, tout ce qui existe, ce sont des particularismes culturels qui nous rapprochent de certaines personnes qui les partagent avec nous.

Mais si ces particularismes nous rapprochent de ceux qui nous entourent, doivent-ils nécessairement nous éloigner de tous les autres ? Le partage et l’échange semblent bien plus enrichissants, et apprendre une langue étrangère, reconnaître des coutumes étrangères et les accepter sur son sol, n’a rien à voir avec une perte d’identité. C’est simplement de l’ouverture.

De vrais dangers… qui n’ont rien à voir avec l’identité nationale

Et pourtant, certaines coutumes, venues de loin, nous dérangent à juste titre. Le débat devient brûlant lorsqu’il est question de l’excision ou du voile. Coutumes qui sont certes culturelles, mais aussi fortement liées aux superstitions religieuses. Ces exemples sont extrêmes, et pourtant des atrocités équivalentes ont existé ou existent partout dans le monde : elles sont le fruit de l’intolérance, du sexisme, de la superstition et bien souvent, tout simplement de la religion. Or, rejeter le patriarcat, le sexisme, le racisme, l’obscurantisme, n’a rien à voir avec le rejet de tel ou telle culture étrangère, et encore moins avec la défense d’une « nation ». Plutôt que de nous glorifier du fait que la culture française soit aujourd’hui exempte de telles coutumes inhumaines, luttons pour que les préjugés et l’injustice disparaissent dans le monde entier, luttons aux côtés de ceux qui, dans les pays où ces atrocités subsistent encore, les combattent.

Un autre argument en faveur d’une « défense » de l’identité nationale risque fort d’apparaître dans le débat : celui de la mondialisation. La culture mondialisée ferait disparaître notre héritage culturel, nous ferait perdre notre identité. Une fois encore, nous croyons cette identité plus forte que certains voudraient le faire croire, et nous nous faisons peu de soucis pour elle. Mais même si la pseudo-culture mondiale devait être un danger, le remède ne serait pas un repli sur une « identité nationale » fantasmée, mais bien la lutte pour détruire le capitalisme, indissociable de la « culture de masse » au rabais.

Les droits de l’homme ont-ils une patrie ?

En dernier lieu, ceux qui se réclament de la « nation française » vont la désigner comme la « patrie des droits de l’homme », héritière des Lumières et du combat contre l’inégalité et l’obscurantisme. A ce titre, la France, seule « éclairée », serait apte à dénoncer toute zone d’ombre chez les autres peuples. C’est au nom de cet héritage que de nombreux aspects de l’islam sont condamnés, et que, pour faire bonne mesure, tous les ressortissant de pays où l’islam opère ses ravages sont impitoyablement rejetés.
Lorsqu’il est question de religion, immédiatement surgit l’argument de la « laïcité ». La France sépare l’Église et l’État, certes c’est mieux que rien. Nous préférerions que les aliénations et les violences morales ou physiques causées par les religions (toutes les religions) soient combattues. Nous préférons le rejet de la religion par chaque individu plutôt que sa séparation d’avec l’État, symbole d’oppression tout autant que l’Église. La laïcité n’est pas pour nous un outil de liberté, car elle s’arrête à mi-chemin dans la lutte pour cette liberté. Ce n’est pas parce que l’État n’est plus ouvertement l’auxiliaire de la religion que celle-ci perd son pouvoir de nuisance.

Les droits de l’homme, les idéaux des Lumières, certes, voilà de vraies voies vers la liberté. Esprit critique, refus de l’aliénation, voilà un héritage dont nous aurions lieu d’être fiers… s’il était réellement le nôtre. Car justement, ces valeurs sont bien trop universelles pour entrer dans le carcan d’une quelconque « identité nationale » : dans leur mouvement d’ouverture vers l’autre, elles sont même la négation pure et simple de la notion d’identité nationale. Décidément, « l’identité nationale » française résiste bien mal à un examen un peu approfondi.

Ne nous laissons pas leurrer !

Certes, il serait absurde de nier les particularismes culturels qui font partie de nos identités individuelles. Non, tout le monde n’est pas pareil, et oui, les contacts interculturels sont souvent difficiles à gérer. C’est bien pour cela que le concept d’identité nationale a un pouvoir de manipulation redoutable : il met des mots (faux et simplistes) sur des difficultés que nous avons du mal cerner, il propose des réponses (mensongères et dangereuses) à nos problèmes socio-économiques. La nation est bel et bien un concept faux, outil de domination et d’aliénation. Ce n’est pas en nous recentrant sur l’identité nationale que nous améliorerons notre sort ou que nous règlerons les problèmes engendrés par la crise. Bien au contraire, la seule voie est la prise de conscience de notre aliénation et de notre exploitation par le capitalisme et par l’État qui le soutient. Cette exploitation ne connaît pas les frontières : la lutte pour la liberté et l’égalité non plus !

Fédération Anarchiste - groupe de Strasbourg

Suivre la vie du site RSS 2.0 | SPIP | Mgs MGS | Fédération Anarchiste FA