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Mexique

Oaxaca : Récit d’un soulèvement populaire

Le vendredi 8 décembre 2006

Cet article se veut essentiellement une synthèse des événements survenus à Oaxaca depuis cet été, une prise de recul comme point de départ à la réflexion... Pour plus de précisions, je vous invite à consulter les divers sites indiqués dans les sources !

La création de l’APPO

A la mi-mai 2006, les enseignants d’Oaxaca entament un mouvement de grève pour exiger l’indexation des salaires face à la hausse du coût de la vie, et l’amélioration de leurs conditions de travail. En effet, à Oaxaca comme au Chiapas et dans d’autres régions à forte population rurale-indigène, le travail des instituteurs se heurte à une structure sociale oligarchique et raciste, au manque d’infrastructures et d’encadrement pour les élèves. Le 14 juin, une manifestation est réprimée dans le sang. Dès lors, les enseignants réclament la destitution du gouverneur d’État, Ulises Ruiz, membre du PRI (parti révolutionnaire institutionnel). Depuis son arrivée au pouvoir entachée de fraude électorale, le gouvernement de Ruiz n’a cessé de faire appel à la violence pour réprimer toute volonté d’autonomie de la part des organisations communautaires et régionales, si bien qu’une immense majorité de la population se rallie à la lutte des enseignants. L’APPO, assemblée populaire des peuples d’Oaxaca, se constitue et lance en juillet une campagne de désobéissance civile : le gouverneur n’a plus aucun contrôle sur la ville, et certain parlent de la « Commune » d’Oaxaca.

Le 2 juillet 2006, ce sont aussi les élections présidentielles au Mexique. Le candidat de la droite conservatrice catholique (PAN, parti d‘action nationale), Felipe Calderon, l’emporte officiellement sur le candidat de gauche Lopez Obrador, mais ces élections-là présentent aussi un certain nombre d’anomalies... Le PAN reste donc au pouvoir, mais sa légitimité est pour le moins contestée ; Calderon et son prédécesseur, Vicente Fox, ont donc tout intérêt à s’assurer le soutien du PRI, le parti du gouverneur Ruiz : pas question, donc, de céder à la demande de l’APPO.

L’armée envoyée à Oaxaca

A la mi-octobre, des tueurs engagés par le PRI commencent à assassiner des enseignants, certains reçoivent des menaces de mort. Le 27 octobre, les attaques menées par les paramilitaires sur les barricades font quatre morts, dont un journaliste d’Indymedia New York ; le lendemain, officiellement pour rétablir l’ordre, le président Fox décide d’envoyer l’armée fédérale, la PFP, à Oaxaca. Pendant cinq jours, du 27 octobre au 2 novembre, la population d’Oaxaca, résiste à l’armée et aux paramilitaires avec pour seules armes des pierres et des cocktails molotov. L’APPO n’a cessé de clamer sa volonté de régler les problèmes de manière pacifique, et refuse donc d’employer des armes à feu. Et l’impensable se produit : le 2 novembre, l’armée s’apprête à investir le campus universitaire, dernier bastion de la résistance. La population, appelée par « Radio Universidad », la radio insurgée, se dirige en masse vers le lieu des combats et encercle les militaires, qui, dépassés, doivent renoncer à pénétrer à l’intérieur de l’université.

L’occupation de la ville par l’armée déclenche un vaste mouvement de soutien à travers tout le Mexique, notamment de la part des zapatistes ; de nombreuses marches de soutien sont organisées et des routes sont bloquées. A l’appel de l’APPO, des mobilisations commencent aussi à s’organiser un peu partout dans le monde.

Le congrès de l’APPO

Du 10 au 13 novembre s’est tenu le congrès de l’APPO, réunissant plus de mille délégués désignés par les sept régions de l’État d’Oaxaca et les différents secteurs de la société. C’est la règle du consensus qui est retenue, et les décisions prises restent finalement assez générales, mais la volonté de changer la société « par la base » reste commune à tous. Les débats sont rendus difficiles, mais aussi enrichis par la confrontation de deux visions différentes des choses : d’une part, celle des « militants marxistes », de l’autre, celles des représentants des communautés indiennes, qui s’appuient sur une tradition millénaire d’organisation communautaire. Un témoin du congrès livre cette réflexion plutôt optimiste : « En fin de compte ce que cherche l’Autre Campagne zapatiste, l’alliance entre le mouvement indien et les forces d’opposition au monde capitaliste, semble se concrétiser ici avec l’APPO. » (1)

La fête de l’indépendance et l’évolution de la situation politique au Mexique

Le 20 novembre, jour de la célébration du 96ème anniversaire de la révolution mexicaine, la dimension nationale du mouvement est devenue indiscutable, mais en même temps les politiques recommencent à pointer le bout de leur nez...

Une assemblée plus large s‘est constituée, qui se réunit pour la première fois le 20 novembre : l’assemblée populaire des peuples du Mexique (APPM), qui comprend l’APPO. Elle propose une organisation de la vie politique par le biais d’assemblées, dans la tradition communautaire. Elle invite les zapatistes à se joindre au mouvement, mais aussi tous les autres partis politiques, à l’exclusion des groupes liés au PRI, le parti populiste auquel appartient Ruiz, et au PAN, le parti conservateur au pouvoir.

Le même jour, le candidat de gauche « battu » aux élections présidentielles de juillet, Andres Manuel Lopez Obrador, est revenu sur le devant de la scène. Depuis l’été, il n’a cessé d’accuser son rival de fraude électorale, et appelle à la formation d’un « gouvernement parallèle de transition ». Devant la foule rassemblée à Mexico pour la fête, il a annoncé un programme en 21 points, parmi lesquels des initiatives légales pour combattre les monopoles économiques et en favoriser l’économie populaire.

C’est donc dans un climat de grande contestation que le nouveau président Calderon a pris symboliquement ses fonctions, le 1er décembre.

Dernières offensives de la PFP

Pendant ce temps, dans la ville d’Oaxaca, une marche appelée par l’APPO commémore elle aussi l’indépendance, avec à sa tête des femmes rassemblées pour protester contre les abus sexuels perpétrés par l’armée d’occupation. La manifestation est attaquée par la PFP ; des jeunes, des femmes et des enfants sont intoxiqués par les gaz, et de nombreuses personnes sont arrêtées. Le 25 novembre, les insurgés décident de réagir, et une nouvelle marche pacifique encercle le quartier général de la PFP ; les affrontement reprennent. Bilan de cette nouvelle journée meurtrière : 5 morts, au moins 125 blessés, 150 personnes arrêtées. Et pendant que sa police multiple les exactions, le gouverneur Ruiz réaffirme sa volonté de mater la rébellion : « Celui qui retire et impose, c’est Dieu », a-t-il déclaré. Pas étonnant qu’un homme persuadé d’être investi d’un pouvoir de droit divin soit prêt à faire appel à des tueurs à gages pour éliminer toute contestation ! Et lorsqu’il déclare qu’ « il n’y aura pas de pardon » pour les prisonniers, il y a de quoi s‘inquiéter...

Les 28 et 29 novembre, une ultime offensive de l’armée vient à bout de la résistance, l’université est à son tour occupée. Mais le mouvement ne s’arrête pas là . Le 2 décembre, le conseil d’État de l’APPO a lancé un appel (2) depuis « un lieu quelconque de l’État d’Oaxaca ». Ce texte affirme tout d’abord la volonté du peuple d’Oaxaca de continuer la lutte, et appelle à un grand rassemblement au centre ville dimanche prochain, le 10 décembre.

Manifestons notre soutien à Oaxaca !

Les manifestations de soutien aux insurgés se sont multipliées au mois de novembre dans le monde entier. Le 20 novembre, notamment, l’APPO avait appelé à une journée de solidarité internationale, et des actions, auxquelles la Fédération anarchiste a pris une part active, ont eu lieu dans plusieurs villes de France. Face à la désinformation ou à l’indifférence des médias traditionnels, c’est à nous de faire savoir ce qui se passe réellement au Mexique, à nous de faire savoir que des insurgés sans armes ont été massacrés, que des centaines de personnes ont été arrêtées ou bien ont « disparu » depuis des jours, c‘est à nous de dire que les assassins, ce sont les soldats, les paramilitaires et les hommes politiques.

Ces manifestations ont aussi permis à ceux qui y ont pris part d ‘exprimer leur ras-le-bol face aux puissants qui, de l’Europe au Mexique, font preuve du pire des cynisme. Ainsi, lors de la manifestation nationale suisse qui a réuni plus de mille personnes à Bern samedi dernier (2 décembre), face aux policiers qui bloquaient l’accès au consulat mexicain, les manifestants ont repris le slogan : « Schweizer Waffen, Schweizer Geld morden mit in aller Welt ! ». (« Les armes suisses, l’argent suisse, tuent dans le monde entier. » (3)) : L’armateur qui vend sa marchandise au plus offrant, le banquier, le politicien... sont les complices de ceux qui massacrent les insurgés mexicains.

Nous réaffirmons notre soutien au rebelles d’Oaxaca, et comme eux, nous refusons de nous soumettre à ceux qui usurpent le pouvoir et s’y maintiennent par la force et la violence.

Cha

Fédération Anarchiste - groupe de Strasbourg


(1) Le compte-rendu du congrès est à lire sur le site du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

(2) L’appel est aussi sur le site du CSPCL

(3) La Suisse, pays « neutre », est un grand exportateur d‘armes...

Sources :

- Le Monde libertaire n° 1453 à 1457

Et des sites internet :

- indymedia Suisse

- indymedia Allemagne

- rebellyon.info (et notamment (1))

- CSPCL (Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte)


Sur notre site : (1)

  • Mots-clés : 2 (triés par nom)
  • autogestion

    Groupe : Anarchisme - Rubriques : 29

  • répression

    Groupe : justice - Rubriques : 108

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