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Résumé de la conférence :

Pour une vision libertaire des services publics

Le jeudi 4 mai 2000

Le 04 mai 2000, le groupe de Strasbourg de la Fédération Anarchiste a organisé sa première conférence sur le thème du service public. A cette occasion nous avions invité Wally Rosell (Groupe Louise Michel de la Fédération Anarchiste, salarié de l’équipement) pour nous parler du point de vue libertaire sur ce thème. Voici la retranscription de cette conférence.

Introduction

Lors de la grève de novembre-décembre 1995, dans le XVIIIème arrondissement de Paris, des instituteurs et des professeurs appellent à une assemblée générale de tous les grévistes de l’arrondissement dans lequel on dénombre de nombreux services publics (2 gares, 1 centre de tri, 1 dépôt de bus, de nombreuses écoles, etc...). Environ 300 personnes assistent à cette A.G. Le PC et la C.G.T. prennent d’abord la parole en avançant des revendications corporatiste. Les anarchistes (dont certains adhérents à des syndicats divers : C.G.T., SUD, CNT, FO) transforment l’A.G. en sorte de "soviet" où l’on commence à réfléchir sur le fond (Pourquoi fait-on grève ? Pas seulement à cause du plan Juppé. A quoi sert-on à notre travail ? Quels sens donner aux actions ? Qu’est-ce que le service public ? Qu’est-ce que l’égalité ?) au lieu de se limiter aux objectifs initiaux : revendications et préparation de manifestations. Ce collectif est composé de peu de fonctionnaire d’État, par contre il y a beaucoup de précaires. Il restera actif après la grève.
Cela retombe un peu après et recommence lors du mouvement des chômeurs et des précaires (décembre 1997 - mars 1998), où de nouveau on retrouve beaucoup de libertaires. Lors d’une occupation d’un centre EDF (qui fournit l’énergie de tout le nord de Paris) par un groupe de chômeurs et de précaires (lors d’une action pour la gratuité de l’énergie et contre la fermeture des compteurs électriques des précaires par EDF qui mènent en même temps la politique du tout électrique), une rencontre entre grévistes d’EDF et chômeurs et précaires a lieu. Il en sort entre autre une réflexion sur la gratuité.
Le groupe Louise Michel mène également sa propre réflexion. Sur Radio Libertaire plus de 40 émissions ont été réalisées sur le thème des services publics dont certaines par le groupe. Cette réflexion ainsi que les émissions sont réalisées conjointement avec des précaires, des chômeurs, des associations, des usagers, des salariées tant du public que du privé. Les thèmes abordés sont : qu’est-ce que le service public ? A quoi ça sert ? Qu’est-ce qui le caractérise ? Qu’est-ce qui fait que les libertaires puissent apporter quelque chose qui redonne un vrai sens à la notion de service public ?

Conférence :

Une première notion apparaît : le libéralisme rentre partout. Le problème n’est pas de travailler dans le privé ou pour l’État ni d’avoir plus d’État (renationnalisation) ou plus de libéralisme. Mais le problème est plutôt entre ceux qui veulent une égalité sociale et ceux qui favorisent inégalité, injustice, et exclusions.
L’État n’a jamais été, n’est pas, et ne sera jamais garant de l’égalité sociale et des services publics. Contrairement à ce que l’on dit, l’État ne disparaît pas, au contraire. Ce qui disparaît c’est le service public, ce n’est jamais la police , l’armée, le ministère de la justice. Par contre c’est les télécomunications que l’on privatise, une éducation nationale à plusieurs vitesses, l’équipement que l’on privatise... La santé est également mal menée : à Paris des hôpitaux sont obligés d’arrêter certains opérations à partir d’octobre par manque de budget. Il y a quatre ans, toujours à Paris, l’État (ou la ville ?) a fermé deux écoles d’infirmières, maintenant il manque des infirmières donc on ferme des lits puis des hôpitaux.
On constate aussi que la notion de services publics est gênante, car derrière il y a la notion d’égalité, pas seulement de droit mais aussi économique et sociale. Les services publics sont un des moyens dont dispose la population pour répartir de façon plus équitable les richesses produites. L’impôt direct ponctionne les gens qui gagnent le plus d’argent pour redistribuer de manière plus égalitaire les richesses, alors que la TVA est un impôt très injuste car on paye tous la même somme que l’on gagne beaucoup ou pas. Bien sûr il ne s’agit pas de défendre les impôts qui restent de toutes façons injustes, ni de défendre l’État, mais de regarder comment se réalise la répartition des richesses en ce moment. Ce qui est battu en brèche c’est l’égalité sociale : insupportable aux patrons, au capitalisme, et aux gouvernements (car les patrons font pression dessus, en leur disant qu’ils ne sont pas là pour s’occuper de l’économie, que c’est leur rôle - aux patrons- et que le gouvernement n’est là que pour faire des lois pour aider les patrons à faire du profit et donc, dans leur logique, l’économie française). D’ailleurs le ministère des finances se bat en ce moment pour plus de TVA et moins d’impôts directs. Les dirigeants (économique et politique) veulent retirer de la tête des gens l’idée de pouvoir répartir les richesses.
Dire que les services publics c’est l’égalité sociale et l’entraide au quotidien c’est bien. Dire que les services publics soient gratuits c’est pas mal, mais est-ce suffisant pour en faire un axe libertaire, c’est-à-dire est-ce suffisant pour expliquer le projet sociétaire libertaire.
- Le service public c’est, par exemple, quand les bus circulent.
- Le service au public c’est quand les bus circulent et qu’ils sont gratuits.
- Le service au public libertaire c’est quand les bus circulent, qu’ils sont gratuits et que les usagers prennent part aux prises de décision.
L’égalité et la gratuité ne suffisent pas.
Les services publics c’est aussi un moyen de gérer une commune (ou une région, un pays, etc...) de manière égalitaire. C’est garantir un certain nombre de services indispensables à la vie :
- droit de se loger (ce qui est loin d’être le cas : à Paris 10 à 15 % de logements vides alors que 75 % de la population a un revenu qui lui permet d’accéder au HLM et 20 % des gens vivent dans des taudis)
- droit de communiquer (télécommunications gratuites)
- droit à la culture (prêt gratuit tant pour les livres que pour les CD en bibliothèque et médiathèque)

Pour une pratique libertaire il faut en plus de cela ( égalité et gratuité), l’association des usagers aux prises de décision, que les usagers ne soient plus consommateurs mais également acteurs. Ce qui va à l’encontre de ce qui se passe aujourd’hui, où on remplace le mot usager par le mot client.

En conclusion, pour un service public libertaire il faut en plus de l’égalité et de la gratuité, la prise de décision. Ceux sont les trois points importants du service public libertaire

Débats :

Q : Mais la gratuité, ça n’existe pas ! (Problème des matières premières en quantités limitées)
R : Effectivement, il y a le problème de rareté comme l’eau en Bretagne. En fait il y a une différence entre la gratuité de la matière première (qui n’existe pas) et celle des services. La gratuité n’existe pas, il faut donc voir qui peut et doit payer. Ceux qui ont de l’argent ! L’État par exemple n’a pas moins d’argent comme il est dit. La somme des trois derniers téléthons est inférieur au prix d’un seul mirage 2000, ce qui n’empêche pas l’État d’en acheter alors qu’il ne donne pas autant pour la recherche médicale. Ceux sont des choix politiques. Il y a aussi de l’argent pour payer les services publics. Par exemple, 70 % des revenus de la RATP sont des subventions. Si on rajoute ce que payent les entreprises pour la carte orange de ses employés (la moitié du prix de la carte), on arrive à 90 % du budget de la RATP. Ce que l’usager paye c’est donc les billets, les vendeurs, les contrôleurs, les machines (distributeurs, tourniquets, portes, maintenances). De plus, la multiplication des tarifs (jeune, carte vermeille, étudiant, etc..) augmentent aussi les frais de gestion. La gratuité pour tous coûterait moins cher. Au niveau des amendes la SNCF et la RATP ne récupèrent que 25 à 30 % des amendes.
Il y a aussi le problème de la violence dans les transports publics : 60 à 70 % des frictions entre usagers et conducteurs de bus sont des problèmes liés aux titres de transports. De plus le contrôle se fait souvent comme une opération coup de poing : plusieurs contrôleurs pendant une semaine sur une même ligne (augmentation de la tension entre conducteur et usagers) puis plus rien pendant un ou deux mois. Pendant ce temps c’est le conducteurs qui subit la colère de l’usager. Du coup à la RATP, il y a des frictions entre les conducteurs et les contrôleurs (d’ailleurs plus nombreux que les conducteurs). Ainsi un conducteur qui en avait marre, avertissait les usagers avant chaque contrôle. Il a été sanctionné par un blâme. Désormais il y a même des contrôleurs en civil qui contrôlent tant les conducteurs que les contrôleurs.
Beaucoup de patrons et de cadres ont leur voiture de fonction payé par l’entreprise, alors que les salariés n’ont qu’un demi-abonnement. C’est encore ceux qui ont le plus besoin des transports gratuits qui sont lésés.
Au niveau des télécommunications, 90 % de ce qui passe sur le réseau appartient aux entreprises. La téléphonie personnelle pourrait donc être gratuite. Mais cela remet en cause l’ensemble du système capitalisme, l’idée de profit.

Services publics dans la commune, droit à la culture, accès à des salles associatives, cinémas.

Le message que l’on passe est en rupture avec les autres. La gratuité fait peur car c’est contraire à la logique de la société où les capitalistes veulent nous mener. Au bout d’un moment on arrive à une rupture. Lorsque l’on se bat pour l’égalité et la gratuité on s’attaque au système dans lequel on est, mais cela ne peut pas la changer fondamentalement car cette société est basée sur l’inégalité et le profit. Si on veut que les problèmes d’argent ne soient plus ce qui prédomine, mais que ce soit les besoins et l’utilité d’un service qui priment, alors on veut changer de société.

Q : Ça prends du temps !
R : Non, ça peut aller très vite, si beaucoup de monde en prend conscience.

Q : Il faut des étapes.
R : Il faut surtout agir, proposer la gratuité, la mettre en place. On ne rendra pas "juste" la société capitaliste en rendant les services publics gratuits et autogérés.

Q : On ne peut pas attendre la
participation de tous, car tout le monde ne sera pas d’accord !
R : Non, mais on peut investir un lieu et le rendre gratuit. Par exemple les actions pour les transports publics à Chambéry, l’occupation du centre EDF par les chômeurs et précaires à Paris.
Dire que les services publics doivent être gratuits, égaux et autogérés montrent la limite de notre proposition. Pour y arriver il faut changer de système, car celui-ci l’en empêche. Cette revendication doit servir à faire prendre conscience aux gens que l’on peut vivre autrement.

Q : ??? (à propos des 35 heures ?)
R : 45, 35 ou 20 heures c’est pareil. Les anarchistes sont pour l’abolition du salariat : même en travaillant 20 heures, si on a toujours un patron qui décide à notre place, cela ne change pas les rapports avec la hiérarchie. Même si on gagne un peu de temps on est toujours exploité.

Q : Quel impôt le plus juste ?
R : On n’est pas pour concevoir un impôt plus juste, mais pour répartir égalitairement les richesses.

Dans l’idée des services publics gratuits pour tous, ce qui est important c’est de montrer à quoi on sert et pourquoi on travaille.

Q : ???
R : On a la liberté d’être utile ou pas. Dans une société libertaire, il faudra bien travailler : balayer les rues, ramasser les poubelles ...
Ce qui est important c’est l’utilité sociale (pouvoir se déplacer, communiquer, s’éduquer, etc..), que les services publics appartiennent à l’État ou aux entreprises privées est secondaire.

Q : Un autre problème c’est que les chauffeurs devient aussi contrôleurs,contre leur gré. On doit monter à l’avant, sous prétexte de faciliter la montée et la descente du bus, cela les gênent dans leur travail.
R : Sur Paris, ils ont également essayer de le faire mais cela n’a pas marché. Le problème d’utilité sociale se pose sur la qualité du service mais aussi sur l’utilité des emplois à l’intérieur du service. A la RATP, les conducteurs sont en colère car on leur enlève des postes mais la direction crée des nouveaux pour les contrôleurs. Se battre pour plus d’emplois ne veut rien dire, il faut se battre sur l’utilité sociale des emplois que l’on créer.

Q : Les anarchistes sont contre la nationalisation mais aussi contre la privatisation. Que veulent-ils ?
R : Pour nous il y a une possibilité ente entreprises et État : la société libertaire.

Q : C’est un mode de libéralisme ! Il y a l’État d’un côté et l’individu (les entreprises) de l’autre.
R : NON !!! Le libéralisme c’est le marché, ce n’est pas l’individu ! Les anarchistes veulent mettre la société autour de l’individu. On ne veut pas l’organiser ni autour du profit ni autour de l’État, mais autour des besoins. (NdR : et les envies alors !)

Q : Pour lever les impôts, il faut un État ?
R : Nous sommes contre les impôts. On veut redistribuer les richesses en organisant la société d’une manière totalement différente.

Q : C’est de la charité !
R : Non, c’est de l’égalité et de l’entraide !
On s’aperçoit que dans les endroits où l’on supprime les services publics l’État devient plus fort : par exemple dans les pays sous-développés il y a toujours l’armée, la police ; l’État est fort et présent mais pas les services publics.
Se battre pour un service public libertaire c’est se battre contre l’État et contre le capitalisme. Bien sûr cela n’est pas suffisant pour faire une société libertaire.

Q : Ce qui caractérise les services publics libertaires des services publics c’est la gratuité et l’accès aux prises de décision. C’est quelque chose de très important. Mais il y a un obstacle majeur : la plupart des gens ont un caractère de consommateurs. La gratuité ça marche toujours, mais si la contrepartie est la responsabilisation et l’implication dans les décisions, dans la réflexions collective, etc.. il y a beaucoup moins de postulants. Comment faire évoluer cette mentalité de consommateur vers une mentalité d’acteur ?
R : C’est vrai, tout est fait dans la société pour que nous soyons transformés en consommateurs, en des personnes soumises plutôt qu’en participants. Dans les années 1970 les gens qui autogéraient LIP disaient que l’autogestion n’était pas facile. On a jamais dit qu’une société libertaire serait le paradis terrestre. C’est autre chose, c’est une autre façon de voir les choses, de s’organiser, où l’on rend les gens plus responsables. Mais cela ne viendra pas d’un coup de baguette magique. Les gens sont quand même souvent prêts à participer quand ils sont au centre des décisions. Par exemple à Bonaventure (école libertaire sur la presqu’île d’Oléron), ou dans d’autres écoles autogérées sur Paris, les gamins participent vraiment à la gestion (pas seulement sur des points de détails). Lorsque ces gamins se retrouvent dans un collège "normal" par la suite, ils sont vite remarqués par les professeurs et les autres élèves pour leurs prises de parole, même vis à vis des professeurs. Ils deviennent souvent délégués. En cinquième un peu moins, et plus du tout après. Quand on leur demande pourquoi, ils répondent simplement que l’on se moquent de leur avis pendant les conseils de classe. Cette participation se retrouve aussi lors des grèves.

Fin de l’enregistrement.

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