Christiania avait été conquis par la génération qui avait 20 ans en 1970, Ungdomshuset par celle qui en avait 16 en 1982. Ungdomshuset « la maison de la jeunesse » Jagtvej 69, Noerrebro, le quartier ouvrier, populaire de Copenhague… j’y suis allé, en 1986. C’était très beau, comme le sont les squats vivants. Anarchistes, punks, do-it-yourself, squatteuses et squatteurs et entre-deux, glandeurs et activistes, Ungdomshuset, depuis vingt-cinq ans, depuis des milliers de concerts et de fêtes et de réunions et de manifs, grouillait de vie, d’action, de chants, de radios, d’affiches, de discussions, de rires, de grandes marmites de porridge et de bouteilles de bière et de sacs de couchages et de livres ; crasseuse, déglinguée, exultante, inquiète et vive, en rire, en crise, en joie, ce qui se passait à Ungdomshuset c’était la vie, pas la survie.Ca me tord les tripes d’écrire ça à l’imparfait.

Ungdomshuset ne s’est pas rendue sans combattre : les flics ont tapé brutalement, et sont allés jusqu’à envoyer leur unité anti-terroriste par hélicoptère !!! Car il faut respecter la loi, et le droit de propriété. La ville avait vendu les lieux, qui se sont retrouvés après revente dans les mains d’une secte imbécile, « Faderhuset » « la Maison du Père » (tout un symbole, la maison du père expulsant la maison de la jeunesse), connue pour ses lavages de cerveau, malversations, prises de position racistes et anti-homosexuelles, sans parler, bien sûr, du « lien direct avec Dieu » de sa fondatrice. Le Danemark, peu de gens le savent, a toujours eu un faible pour les sectes. Quand j’y vivais, je passais au moins deux ou trois fois par semaine devant le quartier général européen de Scientologie, débordant d’imbéciles stressés, et agressifs, en chemise blanche et cravate noire. Baghwan Rajneesh, les Enfants de Dieu, Hare Krishna, The Jesus Freaks, etc. y ont très bien gagné leur vie.

On a donc suivi le virage à droite général en Scandinavie, et l’Etat a envoyé ses chiens. Il en a envoyé beaucoup, ils ont tapé toute une semaine, ils ont tapé plus fort qu’ils ne l’avaient fait depuis des années. Mais c’est une vieille histoire, parce que la conquête d’Ungdomshuset ne s’était pas passé sans gaz et matraques, et succédait à la bataille d’Allotria, un squat qui eut son heure de gloire pour deux raisons : d’abord parce que les gamins (presque tous moins de vingt ans) qui l’occupaient jetèrent, entre autres choses, un stock de toilettes en céramique sur la tête des flics, ils ont gagné, ensuite parce que lorsque les forces de la force lancèrent leur assaut, ils trouvèrent la maison vide ; les gamins avaient creusé un tunnel pour échapper au siège et à l’assaut sans pour autant se rendre !

Pour l’instant, l’Etat, la secte et leurs hélicoptères ont gagné. Les jaunes envoyés le 5 mars démolir le bâtiment travaillent masqués, et, chose extraordinaire dans une société capitaliste donc esclave de la publicité, le logo de l’entrepreneur a été masqué lui aussi sur toutes les machines, tous les camions, bulldozers. Pour l’instant, les jeunes d’Ungdomshuset pleurent. Pleurent vraiment, à chaudes larmes.

Mais Ungdomshuset ne renonce pas. Le combat va continuer.
On peut envoyer des lettres de protestations à l’ambassade danoise, 77 avenue Marceau 75116 Paris, et on peut envoyer des messages de soutien à kontakt@ungeren.info.

Jean-Manuel Traimand

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