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4 pages supplément au Monde Libertaire

Chaos capitaliste ou décroissance libertaire

Le mardi 1er décembre 2009

Deux siècles d’une croissance économique ininterrompue ont conduit à l’avènement de notre société dite de consommation, celle de la démesure (réservée, cependant, à un être humain sur cinq !). La planète paraissait immense et inépuisable ; le bonheur semblait programmé sur ordonnance. Certes, la science et la technique ont permis d’augmenter sensiblement le niveau de vie matériel de centaines de millions de personnes. Mais le prix à payer restait ignoré.

Le bilan humain se révèle désastreux. L’augmentation constante du Produit intérieur brut, notion purement quantitative, n’a pas engendré, comme certains le faisaient croire, une amélioration du bien-être des populations. D’abord parce que les inégalités sont devenues exorbitantes ; ensuite parce que l’argent permet de tout acheter, sauf l’essentiel : la richesse relationnelle, la reconnaissance, la dignité. Le bilan écologique est du même ordre, parce qu’on a « oublié » que tout acte de consommation est d’abord un acte de destruction. Aujourd’hui se développe la prise de conscience des dimensions finies de la Terre. La réalité montre chaque jour plus crûment la dépendance des économies modernes vis-à-vis du pétrole notamment, la vulnérabilité des écosystèmes, la multiplication des atteintes à l’environnement, leur gravité sans précédent, leur dimension planétaire, parfois leur irréversibilité. Nous sommes la première génération dans l’histoire à transmettre à ses enfants un héritage moins favorable que celui qu’elle aura reçu.

La décroissance est incontournable

En dépit des simplifications inhérentes à tout indicateur synthétique, la notion d’empreinte écologique, qui reflète le rapport colonial d’exploitation des ressources ayant permis aux pays riches d’atteindre leur niveau de développement actuel, et qui mesure l’impact des activités humaines sur la planète, met en lumière l’essentiel : nous sommes en train de solliciter la nature au-delà de ses capacités de régénération, d’épuiser une partie du capital naturel mondial. Si tous les habitants de la planète voulaient adopter le mode de vie « occidental », les ressources de cette planète n’y suffiraient pas. Notre mode de vie n’est pas généralisable dans l’espace ; il l’est encore moins dans le temps. Que nous dépassions de 10, 20 ou 30 % les capacités biologiques de la Terre, peu importe. Nous sommes dans une impasse ; la croissance économique n’est plus possible. Il nous faut remettre en cause nos modes de production, de consommation, de distribution.Il nous faut renoncer au productivisme et au consumérisme individualiste, et au-delà sortir de l’ « économicisme », c’est-à-dire de la soumission du politique à l’économique.

Partant de cette évidence qu’une croissance illimitée est impossible dans un monde qui, lui, est limité, la décroissance consiste donc en un ralentissement du cycle production-consommation autour de quelques axes : respect du rythme de régénération des ressources renouvelables, diminution de la consommation des ressources non renouvelables, relocalisation de l’économie, sobriété énergétique, recyclage des matériaux, développement des énergies renouvelables…


L’échec des luttes internationales contre les émissions de gaz à effet de serre est sans appel : entre 1990 et 2008, le taux global de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de près de 35% (source NOAA). Depuis 2000, le rythme d’augmentation annuel de l’ordre de 3% dépasse même les scénarios les plus pessimistes du GIEC : une évolution à l’opposé des efforts nécessaires pour parvenir à diviser les émissions de GES par deux d’ici 2050 au niveau mondial.

Pourtant, en signant le protocole de Kyoto (1997), un certain nombre de pays industrialisés s’étaient engagés à limiter leurs propres émissions de GES entre 1990 et 2012, et certains pays comme la France se targuent même de leur réussite. Outre l’objectif dérisoire (moins 5% pour des pays représentant alors 40% des émissions mondiales contre 30% environ actuellement) et la non prise en compte des émissions liées au commerce international, le mode de décompte est à lui seul une véritable arnaque : les GES sont imputés aux seuls pays producteurs (situés de plus en plus au Sud, et non aux consommateurs (situés souvent au Nord). Aujourd’hui, plus de 30% des émissions de la Chine sont d’ailleurs liées à la production de biens destinés à être exportés en Occident (Energy Policy, 24/07/08). Avec Kyoto, les pays riches se sont donc avant tout acheté une morale à bon compte à coups de délocalisations vers les pays « émergents » pour le résultat que l’on connaît. A Copenhague ou ailleurs, tant que les lois du capitalisme et de la croissance primeront, le climat se déréglera !


Notre décroissance sera anticapitaliste

Les dégâts causés par le capitalisme engendrent un gâchis considérable. Sur le plan écologique : pénurie d’eau, accumulation des déchets, déforestation, dégradation des terres cultivables, dérèglements climatiques, perte de biodiversité... Sur le plan humain, déracinement, solitude, angoisse, mal-être, stress, états dépressifs, logique du repli sur soi conduisant au suicide... Fondé sur la recherche de l’accumulation du profit maximum dans le temps le plus réduit possible, le capitalisme est incapable de prendre en compte les intérêts écologiques qui, eux, ne peuvent se concevoir que sur le long terme puisqu’ils résultent d’équilibres ajustés finement sur des millénaires. La « logique du vivant » consiste à maximiser des stocks – la biomasse – à partir du rayonnement solaire ; celle de l’économie capitaliste s’acharne, au contraire, à maximiser des flux marchands en épuisant des stocks naturels : c’est la marchandisation du vivant. La nature fonctionne de manière cyclique ; en créant des déchets non recyclables, l’économie capitaliste fonctionne de manière linéaire : elle est donc inapte à assurer la continuité de la vie.

Le capitalisme semble jusqu’à présent avoir réussi à surmonter ses contradictions internes – les inégalités sociales – par la fuite en avant dans une croissance économique continue. Celle-ci est désormais impossible, sauf à s’enfoncer dans un désastre écologique et humain irréversible. La récession, échec du capitalisme, n’ayant rien à voir avec une décroissance choisie en toute lucidité, il s’agit bien d’opérer une rupture.


Les dégâts économiques et sociaux du capitalisme sont considérables. Ce système criminel fabrique en permanence de la souffrance et saccage des milliards d’existences en maintenant un tiers de l’humanité au niveau de vie du Moyen-Age européen. D’un côté, des productions céréalières détournées, des forêts abattues, des modes de vie traditionnels détruits, des paysans expropriés pour assurer le « confort » de 20 % de l’humanité, un pillage rationalisé des pays pauvres sous couvert d’assistance technique. De l’autre, la mise en concurrence des salariés : sous-traitance, intensification du travail, flexibilité, précarité. En France, 537 décès par accident du travail en 2006. Explosion des maladies professionnelles reconnues : 52 979 en 2005. Les suicides directement liés au travail sont estimés à 400 par an. Plusieurs millions de salariés sont exposés, sans aucune protection, à des produits reconnus pour être cancérogènes, mutagènes ou toxiques. (chiffres extraits de : Travailler tue en toute impunité - Fondation Copernic)


Notre décroissance sera antiétatique

C’est l’Etat, fondé sur la force, qui par la loi protège la propriété privée (et notamment des moyens de production). C’est l’Etat qui finance la recherche-développement et les infrastructures au profit de la grande industrie, offrant au patronat un cadre juridique sur mesure. C’est encore l’Etat qui vole au secours des banques ou des multinationales à coups de milliards ou à grand renfort de police ou d’armée. C’est toujours l’Etat qui, pour la prospérité des riches, au Nord comme au Sud, accentue le contrôle social, criminalise les mouvements sociaux, réprime la contestation, entrave la libre circulation des personnes, harcèle ceux qui refusent de se couler dans le moule idéologique du prétendu libéralisme. Alors, que l’on cesse de croire – et de faire croire - qu’un Etat de droit va surgir dans la jungle de la mondialisation et résoudre à la fois la crise écologique et sociale ! Autant espérer que le tigre devienne végétarien !

Seuls la mauvaise foi ou l’aveuglement empêchent de voir que c’est le capitalisme qui instrumentalise l’Etat, et non l’inverse, qu’après avoir été complice, le pouvoir politique est devenu otage de la finance internationale. Et compte-tenu des nombreux liens tissés entre les oligarchies du public et celles du privé, entre le monde politique et les milieux d’affaires, cette situation est irréversible. Les politiciens sont trop bien élevés pour mordre la main qui les nourrit ; ce n’est pas celui qui a le pistolet sur la tempe qui dicte ses conditions, mais celui qui a le doigt sur la gâchette.


Non seulement le domaine militaire est celui des structures hiérarchiques et de domination, du culte de la violence et de la virilité. Non seulement l’augmentation des dépenses militaires s’effectue au détriment des programmes sociaux et de santé. Mais encore le militaire pèse d’un poids considérable sur l’environnement. Les réacteurs nucléaires militaires sont en volume responsables d’environ 97 % de tous les déchets nucléaires de niveau élevé de radiation et de 78 % de tous les déchets nucléaires de niveau de radiation faible.

En moins d’une heure, un avion militaire à réaction F16, décollant pour une mission d’entraînement de routine utilise presque deux fois plus de carburant que l’automobiliste américain moyen sur toute une année. De fait, le Pentagone est le plus grand consommateur d’énergie du pays, et très probablement du monde. Il utilise en douze mois autant d’énergie qu’il en faut pour faire fonctionner le système entier de transport urbain de masse des Etats-Unis pendant 14 ans. (source : Surarmement, Pouvoirs, Démocratie – Andrée Michel – L’Harmattan 1999) Hervé Morin, ministre de la Défense, vient de confirmer la commande de 60 nouveaux avions de combat Rafale, dans le cadre du développement durable...de l’entreprise Dassault. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour oublier d’éteindre le plafonnier quand vous quittez votre chambre !


Pour une révolution écologique et sociale

Le mouvement anarchiste n’a pas attendu la crise écologique pour dénoncer le capitalisme : cette crise constitue seulement un argument supplémentaire, mais décisif, dans la volonté d’éliminer ce système morbide, mortifère et meurtrier. Notre décroissance n’est ni celle des républicains accrochés à un prétendu Etat vertueux qui ne verra jamais le jour, ni celle des autoritaires de tout poil qui rêvent non seulement d’accentuer la précarité, mais d’éradiquer la pauvreté…en supprimant les pauvres.

L’histoire prouve tous les jours, et après chaque échéance électorale, qu’aucun changement n’est possible dans la continuité du parlementarisme. Il appartient aux populations de ne pas se laisser piéger par l’imposture d’un « développement durable », d’une « croissance verte » ou d’une illusoire moralisation du capitalisme, de ne pas succomber au charme perfide d’un D. Cohn-Bendit, joyeux colporteur du green business ou d’un N. Hulot, le virevoltant multi-sponsorisé. La relance économique est condamnée du simple fait que tout nouvel endettement en faveur de la consommation suppose l’aggravation de la dette écologique. Seule une rupture avec le système actuel – une révolution libertaire – peut ouvrir des perspectives d’émancipation pour l’homme et de vie décente pour les générations futures parce que le patronat utilisera les méthodes les plus barbares pour sauver ses privilèges.Il s’agit bien de transformer radicalement les structures économiques et sociales plutôt que de tabler sur les seuls changements de comportements individuels ou sur des initiatives étatiques.

Parvenu à un tel point de non-retour, le capitalisme ne peut que s’empêtrer dans ses contradictions et entraîner les populations avec lui, notamment par les bouleversements sociaux qu’engendrera la fin du pétrole bon marché. En prenant conscience de leur capacité politique et en renouant avec une solidarité disparue, les producteurs et les habitants eux-mêmes doivent se réapproprier leur avenir, reprendre en main l’économie et la gestion des cités. Pour redéfinir ensemble le sens du travail, la finalité de la production, l’usage social des biens, la mutualisation des services, la convivialité en partageant les richesses et en auto-limitant individuellement et collectivement nos besoins. La réduction du temps de travail qui en résulterait favoriserait un réel épanouissement de l’homme. Pour que toutes ces initiatives ne restent pas que des îlots d’autogestion dans un océan capitaliste, il importe de les fédérer entre elles. Mais le temps joue contre le seul projet qui puisse rendre à l’homme sa dignité. Il y a donc urgence à sortir de l’impasse suicidaire du capitalisme.


Parce qu’elles permettent d’expérimenter la démocratie directe, l’initiative, la responsabilité, le partage, la solidarité, la préservation de l’environnement, les SEL (système d’échange local), les AMAP ( association pour le maintien d’une agriculture paysanne), les coopératives, les marchés fermiers, l’agriculture de communauté, les jardins urbains, les groupes d’achat solidaires, la permaculture, les mouvements de simplicité volontaire, les ateliers de savoirs populaires, l’habitat groupé..... peuvent contribuer à ouvrir des brèches et constituer un levier intéressant pour amorcer une déstabilisation du système. Mais, si elles peuvent élaborer des stratégies partielles de transition, jamais la somme de ces alternatives dans le système ne suffira à créer une alternative au système. Nous ne ferons pas l’économie d’une révolution sociale.


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