Accueil > Articles > Percée électorale de l'extrême droite
  •   |   {id_article}  |  
      |  
  • Article

Allemagne

Percée électorale de l’extrême droite

Le vendredi 22 septembre 2006

(Article paru dans le Monde Libertaire )

Le 17 septembre, les Allemands sont allés voter pour renouveler les parlements régionaux dans les Länder du Mecklembourg-Poméranie-occidentale et de Berlin. En Poméranie-occidentale, le NPD (extrême droite aux accents national socialiste) a obtenu 7,3 % des voix, ce qui lui permet de faire son entrée au Landtag avec 6 sièges. Après la Sachs et le Brandenbourg, la Poméranie-occidentale devient ainsi le troisième Land où l’extrême droite est représentée au parlement.

Une réussite pour la stratégie du NPD en Poméranie

Les sociaux-démocrates du SPD ont tout juste atteint 30,2 % des suffrages, talonnés par les conservateurs du CDU à 28,8%. Le SPD enregistre ainsi une baisse de près de 10% et les conservateurs perdent 2%. Die Linke-PDS (communistes et extrême gauche) sont restés stables à 16,8%. Les grands gagnants de la soirée sont bien les libéraux du FDP (9,6%) et le NPD qui entrent au Parlement. Bien avant que les résultats ne tombent dimanche soir, il semblait probable que le parti néo-nazi allait dépasser la fameuse barre des 5%.

Contrairement à la campagne très musclée menée par le NPD dans le Land de Berlin, la stratégie appliquée en Poméranie fut différente. Au vu de sa réelle chance d’entrer au parlement, le parti a voulu donner une bonne image, se montrer proche des citoyens tout en s’appuyant ponctuellement sur les Freien Kameradschaften (1). Cependant cette stratégie de la retenue fut difficile à suivre. Dans les derniers jours de la campagne, se sentant en confiance, les militants du NPD ont eu du mal à cacher leurs méthodes habituelles. Insultes, menaces et intimidations contre les militants d’autres partis étaient à l’ordre du jour. Un retraité qui ne voulait pas d’une affiche du NPD devant sa porte a même été agressé !

Des politiciens qui ne veulent pas voir la gravité de la situation

A la vue des résultats et dans les jours qui ont suivi, les politiciens se sont montrés choqués et irrités par la poussée de l’extrême droite. Beaucoup d’hypothèses ont été émises tour à tour pour expliquer cette poussée, une abstention à 40% ou encore l’éparpillement des voix dû à la présence de petits partis. Incapables d’expliquer ce résultat, ils ne savent réagir autrement qu’à travers des discours lénifiants qui resteront lettre morte par la suite car ils réduisent trop souvent ce succès à un phénomène passager, à un vote contestataire conjugué à une lassitude à l’égard des grands partis. Ils pensent que le NPD baissera dans les urnes lors des prochaines échéances, lorsque les jeunes électeurs « frustrés par la crise sociale » (le NPD a obtenu 17 % parmi les 18-24 ans) auront mûri et qu’ils retrouveront dès lors le chemin de la raison.

Pourtant les 7,3% du NPD sont bel et bien le résultat de son implantation durable dans une région qui est touchée de plein fouet par la crise sociale et qui ne s’est jamais remise depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Dans certains villages le long de la frontière polonaise, le NPD atteint des scores historiques qui varient entre 20% et 38% (38% à Postlow étant le record absolu). Le phénomène n’a rien de passager ! Rappelons que là où le NPD a eu de bons résultats dimanche dernier, il avait déjà connu un succès considérable lors des élections communales ainsi que lors des élections fédérales. Il a pu compter sur une base solide et sur son implantation qui est le résultat d’une stratégie politique mûrement réfléchie.

Comment l’extrême droite s’est implantée en Poméranie

La tête de liste Udo Pastörs, 54 ans, est venue d’Allemagne de l’Ouest il y a quelques années, comme beaucoup de militants, pour s’installer en Poméranie-occidentale et y enraciner le NPD. Près de Lübtheen, un bourg de 5000 habitants, il a acheté un terrain de 50 hectares pour y installer des « des familles allemandes ». Pastörs et ses amis, comme d’autres nazis établis dans la région, soignent leur image même si certains ont plus d’une condamnation à leur actif et ont des liens avec les Freien Kameradschaften. Du moins ils essayent d’apparaître respectables en surface. Souvent jugé « sympathiques », « aimables » et « travailleurs » par leurs concitoyens, ils ont réussi à s’intégrer dans la société et à être considérés comme ceux qui pouvaient organiser la vie sociale dans une région qui a été durement touchée depuis la fin de la RDA où rappelons-le l’Etat totalitaire prenait en charge toute la vie quotidienne.

En Poméranie-occidentale, voter NPD n’est plus tabou, on ne s’en cache plus, au contraire. Le parti est ancré au sein des familles et socialement accepté. Dans certains villages les néo-nazis sont tout simplement « unsere Jungs » [nos enfants]. Les militants d’extrême droite ont réussi, par un travail quotidien, à s’implanter localement en investissant la vie sociale. Dans une région que tout le monde fuit, là où il n’y a rien - plus de magasins, pas de boulot, pas de distraction, pas d’activités pour la jeunesse - une fête organisée par une Freien Kameradschaft est bien souvent l’événement le plus palpitant du week-end. Les nazis sont entrés dans les associations, dans les clubs de sport et animent les fêtes de village. Ils organisent des voyages à l’étranger et prennent en charge les activités culturelles. Dans de nombreuses communes en Poméranie ils contrôlent des pans entiers de la vie sociale. Dans certains villages, chez les pompiers volontaires, les sympathisants et militants NPD sont depuis longtemps devenus majoritaires.

C’est grâce à ce travail de terrain que l’extrême droite a pu engranger des sympathies dans des endroits désertés par les autres partis politiques car jugés peu intéressant étant donné le taux d’abstention élevé. Ajoutons à cela le fait que, selon Clemens Zeise, porte-parole de la campagne antifasciste « Keine Stimme für Nazis » [Ne donnons pas la parole aux nazis] en Poméranie, « un tiers de la population en Poméranie a une orientation politique d’extrême droite et à ce titre en principe aucun problème avec les slogans racistes, antisémites et nationalistes du NPD ». Dès lors, on comprend mieux les résultats qu’a obtenus l’extrême droite dans cette région.

Les partis politiques en grande partie responsables

Le NPD a donc pu y trouver un terreau favorable pour développer ses idées. Aujourd’hui les grands partis s’émeuvent de la poussée de l’extrême droite, mais c’est oublier bien vite que leurs réformes qui ont réduit à néant les acquis sociaux (entre autre celles par rapport au monde du travail ;Hartz IV) ont laissé bon nombre de personnes sur le carreau. Ils ont ainsi ouvert la voie aux discours démagogiques du NPD en matière sociale.

Souvenons-nous aussi que bien avant ces élections les partis politiques, toutes tendances confondues en partant de Die Linke-PDS au CDU, ont souvent fait la part belle aux idées d’extrême droite avec leurs discours nourris de chauvinisme, de nationalisme et empreints d’un racisme latent sur des questions telles que l’immigration. Ils ont ainsi relayé les idées de l’extrême droite au centre de l’échiquier politique ce qui a contribué à banaliser ces idées et finalement à les rendre acceptables. En Poméranie la majorité sortante était formé par une coalition entre le SPD et Die Linke-PDS. Clemens Zeise fait remarquer que la politique mené dans le Land « a souvent servi de marchepied à l’extrême droite, dans la mesure où elle reprenait bon nombre de thèmes chers à cette dernière à travers la stigmatisation des immigrés, leur enfermement dans des centres de rétention ou encore par son soutien financier et moral au révisionnisme historique des Vertriebenenverbände » (2).

La victoire du NPD n’est pas un hasard, elle est liée à son implantation et au travail de terrain qu’il a mis en œuvre dans une région très touchée par la crise économique. Les politiques continueront encore certainement quelques jours à épiloguer sur la percée électorale du NPD. Ensuite, les affaires quotidiennes reprendront et les questions soulevées par ce résultat tomberont en désuétude et ne les intéresseront plus une fois que les caméras des plateaux de télévision se seront éteintes. Loin des pleurnicheries et autres bons sentiments des politiciens, les antifascistes ont préféré exprimer leur colère dans la rue à travers un certain nombre de manifestations spontanées, peut-être pour dire aussi que le NPD, un parti néo-nazi, est tout simplement élu par d’autres nazis.

Olynx

(Fédération Anarchiste - groupe de Strasbourg)


(1) Les Freien Kameradschaften ont fait leur apparition au milieu des années 1990 suite à l’interdiction de nombreux partis néo-nazis. Des groupes informels, sans aucune base légale, se sont dès lors créés avec pour but d’échapper aux interdictions. Travaillant par des réseaux informels, ces groupes sont fortement reliés entre eux notamment par les « bureaux d’actions » qui sont suprarégionaux. Ils se voient comme une des composantes de la « Résistance nationale ». Réputés pour leur violence ils rassemblements souvent les éléments les plus radicaux de l’extrême droite. Eux-même se présentent comme les héritiers des SA.

(2) Ce terme désigne les organisations qui ont été créées pour réagir aux transferts et à la fuite des populations allemandes à la suite de la seconde guerre mondiale, notamment dans les Sudètes. Toutes ces organisations sont aujourd’hui regroupés dans le "Bund der Vertriebenen - Vereinigte Landsmannschaften und Landesverbände" (BdV)

-  Sources : Berliner Zeitung, Berliner Morgenpost, Junge Welt, Tageszeitung, der Spiegel, ainsi que les sites internet des antifascistes radicaux

Suivre la vie du site RSS 2.0 | SPIP | Mgs MGS | Fédération Anarchiste FA