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Lois sécuritaires : Le Pen a gagné les élections...depuis longtemps !

Le vendredi 13 décembre 2002

De la LSQ…

En juin 2001, le gouvernement Jospin déposa en urgence un projet de « Loi sur la sécurité quotidienne » (LSQ), afin de renforcer les dispositions relatives à la « tranquillité des citoyens », dans la droite ligne du colloque de Villepinte (1997) [1]. Le battage médiatique autour des « chiffres alarmants de la délinquance » [2], l’intense lobbying des syndicats policiers et les échéances électorales à venir avaient fini de convertir définitivement la gauche plurielle au discours sécuritaire.

Les attentats du 11 septembre 2001 intervinrent en pleine session parlementaire et les députés entreprirent alors de renforcer tout un ensemble de dispositions et d’en introduire de nouvelles : véritable fourre-tout juridique, la LSQ concernerait désormais autant les rassemblements dans les halls d’immeuble [3] que le voyage sans billet dans les transports collectifs ou l’intrusion « sauvage » dans des systèmes informatiques de données, assimilée à un « acte terroriste ».

…à la LSI

Arrivé au pouvoir, le gouvernement CRS (Chirac-Raffarin-Sarkozy) ne pouvait décemment en faire moins que son prédécesseur accusé de laxisme. Aussi, il fut rapidement décidé de prolonger la LSQ (initialement prévue jusqu’en décembre 2003) jusqu’au 31 décembre 2005 et, surtout, de lui adjoindre une « Loi sur la sécurité intérieure » (LSI). Sous couvert d’un « sentiment d’insécurité » savamment orchestré, l’Etat possédera alors les moyens d’un contrôle policier systématique de la société : en instaurant de nouveaux délits et en institutionnalisant la délation, le pouvoir (Etat et médias) officialise l’ère du soupçon généralisé. En assouplissant l’encadrement judiciaire d’activités policières encore intensifiées [4], en associant à la répression les milices de surveillance privée et en rendant « accessibles » à des sanctions pénales les mineurs dès l’âge de 10 ans (dès 13 ans pour la prison ferme !), le pouvoir torpille sans complexe la fiction de « l’Etat de droit », prétendu garant des libertés individuelles. La résignation ambiante le dispense aujourd’hui de tout alibi !

La pénalisation de la pauvreté

Bien sûr, cet arsenal répressif n’étonnera véritablement que les naïfs et les amnésiques. Il surprend néanmoins par sa brutale franchise : entièrement pointé en direction de la « France d’en bas », il s’accommode fort bien de la libération de Papon, de l’augmentation de 70% des salaires ministériels et de l’assouplissement prochain de la loi sur le harcèlement moral au travail, par exemple. Le message est clair : la chasse aux « sauvageons » est désormais élargie aux pauvres de toutes catégories et seuls les plus dociles et muets resteront impunis.

Alors que les médias raffolent des sempiternels chiffres sur « l’insécurité », qui sont pourtant d’une fiabilité toute relative [5], pas un seul ne s’attarde sur une donnée pourtant incontestable : depuis 1994, le nombre d’affaires pénales admises à l’aide juridictionnelle pour l’assistance d’un prévenu a plus que doublé. A moins d’expliquer cette hausse par une « malhonnêteté » foncièrement croissante des catégories défavorisées, il faut surtout constater là une concentration accrue des efforts de la police et de la justice dans la surveillance et la répression des pauvres. En uniforme ou en robe, les gardiens de l’ordre établi ont bien les mêmes priorités !

Un business juteux
A n’en pas douter, les décisions gouvernementales ne sont pas pour déplaire aux vendeurs de matériel de « sécurité » : les industriels du secteur parlent habituellement d’un marché en croissance annuelle moyenne de 8 à 10%, ce qui, en soi, laisse rêveurs ceux d’autres branches d’activité. Alors, l’on peut raisonnablement penser que toutes les mesures annoncées ces derniers mois les ont fait sauter de joie. Pensez donc : des caméras de surveillance dans les écoles, peut-être même des portiques de détection de masses métalliques ; des caméras « intelligentes » [6] dans les transports collectifs et aux stations de tram, bus et métro ; des flashballs pour la « police de proximité » [7] ; etc… Un véritable jackpot !

A n’en pas douter non plus, la perspective de construction de nouvelles prisons doit faire saliver le petit monde du bâtiment et sûr que TF1, propriété de Bouygues-construction, va se montrer plus démonstrative encore dans sa campagne « la France a peur ».

Dans le même temps, les piliers de l’Etat-providence, jusque là nécessaires pour organiser la production et la consommation de masse et pour acheter à bon compte la paix sociale, sont en voie de démantèlement : on instaure par-ci le « déremboursement » de certains médicaments ; on diminue par-là les budgets publics a priori socialement les plus utiles (éducation en particulier) ; enfin, on prévoit de s’attaquer prochainement au « problème » des retraites . Les classes possédantes françaises (et, plus largement, européennes) ont importé d’outre-Atlantique la fabuleuse escroquerie néo-libérale qui consiste non pas tant à réduire l’Etat qu’à réorienter ses missions vers des domaines marchandisables : un pauvre en prison est rentable pour de nombreux prestataires de services payés par la collectivité ; dehors, c’est un « assisté » coûteux et non producteur de « richesses ».

Mais, ce serait une erreur que de voir en ces intérêts économiques la motivation essentielle du bâillonnement sécuritaire actuel : actionnaires/actionneurs des leviers du pouvoir politique, les détenteurs du Capital ont toujours su trouver les moyens d’agrandir leur fond de commerce. Simplement, il se présente là une belle opportunité de « taper dans la caisse ». Alors, pourquoi se priver ?

L’aboutissement de la logique étatique

Bien plus que par son mode de fonctionnement, l’Etat moderne se distingue surtout de ses formes antérieures par un changement fondamental d’ambitions : à partir du 17e siècle, son attention s’est progressivement déplacée de l’administration des choses vers l’administration des vies [8]. Aujourd’hui, les technologies électroniques et génétiques lui font entrevoir la possibilité d’un contrôle total de nos existences.

D’ailleurs, il faut toute la naïveté des « citoyennistes » pour croire que seuls l’appât du gain et le lobbying des industriels motivent ce renforcement sécuritaire [9] : une part importante de ces technologies de contrôle sont élaborées dans des unités de recherche publiques. C’est l’INRIA, par exemple, qui a développé la technologie des caméras de surveillance « intelligentes » aujourd’hui présentes sur de nombreux réseaux de transports collectifs [10].

Ne doutons pas que l’Etat agit bien au service des classes dominantes. Mais, n’oublions pas non plus qu’il a sa propre logique et exerce un (bio-)pouvoir qu’il entend bien renforcer toujours davantage [11]. C’est à cette emprise croissante qu’il s’agit de résister aujourd’hui. Et c’est en opposant toutes nos forces au pouvoir policier, capitaliste et patriarcal que nous préserverons l’espoir d’une société libre et égalitaire !


Notes :

Notes :

[1Officiellement intitulé « Des villes sûres pour des citoyens libres », ce colloque, inauguré par Jospin et Guigou, a surtout intronisé Chevènement en grand ordonnateur de « l’ordre républicain », ce qui l’amènera, en mars 2000, lors des assises nationales de la police de proximité à déclarer, sans sourciller : « La répression, c’est aussi de la pédagogie ».

[2Cf. La machine à punir, éditions de L’esprit frappeur, 2001 (en particulier le chapitre sur « l’insécurité des médias » par Serge Halimi).

[3Cette disposition embêtera d’ailleurs ceux chargés de rédiger la loi, car une disposition similaire existait déjà. Il apparaît donc que le but était surtout de signifier à « l’opinion publique » que les jeunes qui « traînent » en prendraient pour leur grade !

[4Quelques exemples : la garde à vue prolongée jusqu’à 96 heures d’affilée en cas de criminalité « organisée » (à plusieurs) ; l’attente de la 36e heure pour un entretien avec un avocat ; les possibilités de fouilles des véhicules et de perquisition de domicile sans commission rogatoire du procureur ; croisements, voire fusions de fichiers de données informatisées ;…A tel point que même des syndicats de magistrats classés à « droite » en sont arrivés à émettre quelques inquiétudes…

[5Cf. Laurent Mucchielli, Violences et insécurité, éd. La Découverte, 2001.

[6Exemple de technologie dite « smart vision », le système Chromatica : Relié à l’ensemble du réseau des caméras, l’ordinateur est muni de logiciels de détection : à peine le « suspect », le vendeur à la sauvette ou le mendiant arrive-t-il dans le métro qu’il est immédiatement repéré. S’il reste immobile plus d’une minute, son image passe au vert sur l’écran de contrôle. Au-delà de deux minutes, elle vire au rouge et l’alerte est lancée. Rester immobile trop longtemps, ne pas marcher dans le bon sens, stationner en groupe, franchir des zones interdites, deviennent autant de comportements louches... que les caméras dénoncent sur-le-champ.

[7Les esprits taquins auront constaté le paradoxe qui consiste à doter une police dite « de proximité » d’armes destinées, légalement, à être utilisées de loin…

[8Cf. l’analyse du bio-pouvoir (c’est-à-dire d’un pouvoir politique exerçant un contrôle direct sur les vies) menée par Michel Foucault, en particulier dans Surveiller et punir, éd.Gallimard, 1975 et dans Histoire de la sexualité - La volonté de savoir, éd. Gallimard, 1976.

[9Attitude comparable à celle qui consiste à demander que la recherche sur les OGM soit exclusivement menée dans des laboratoires publics, afin de permettre un « contrôle citoyen » prétendument efficace contre les dérives mercantiles.

[10Cf. http://www.inria.fr (Institut national de la recherche en informatique et en automatique). dont la page d’accueil annonce fièrement les détestables ambitions.

[11Récemment, sur l’antenne de France Inter, un « expert » se lamentait : « Force est de constater que les supports d’identification, dès lors qu’ils sont externes à l’individu (papiers, cartes magnétiques ou à lecture optique, etc…) ne sont jamais que d’une fiabilité limitée. Il faudrait donc que la personne constitue son propre support d’identification. ».

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  • sécuritaire

    Groupe : contrôle social - Rubriques : 10

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