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Suisse

Le référendum sur la politique d’immigration en Suisse : victoire pour les nationalistes

Le jeudi 28 septembre 2006


Le 24 septembre dernier ont eu lieu en Suisse des « votations », c’est-à-dire un référendum, portant sur la réforme de l’immigration. Malgré une campagne acharnée, la partie semblait perdue d’avance ; effectivement, les nouvelles lois, plus dures, ont été adoptées à près de 68 % des voix. L’événement est inquiétant en soi, mais il nous invite aussi, alors que la mascarade électorale approche en France, à élargir notre réflexion sur le vote lorsque celui-ci se présente sous l’aspect (apparemmment ?) plus démocratique du référendum.

Les circonstances de la votation

En Suisse, une loi adoptée par le Conseil fédéral et le Parlement peut être remise en cause par un citoyen ou un collectif, si ceux-ci recueillent suffisamment de signatures pour qu’elle soit soumise à référendum. C’est ce qui s’est passé pour les deux lois sur l’immigration. La gauche a tenté de faire barrage à ces lois, adoptées fin 2005 sous l’impulsion d’un personnage emblématique : Christoph Blocher, Conseiller fédéral et Ministre de la Police et de la Justice. Toute ressemblance avec un ministre d’Etat français n’est que pure coïncidence... Mais livrons-nous tout de même à quelques comparaisons hasardeuses.

Blocher appartient à l’aile droite de l’UDC (Union Démocratique du Centre), parti de droite populiste. Le cheval de bataille habituel de ce sympathique personnage est l’immigration, avec une obsession chronique pour le thème de l’indépendance nationale... En bref : Sarkozy pour la politique générale, De Villiers pour le nationalisme xénophobe.

Pendant la campagne, les lois sur l’immigration ont vite été rebaptisées « lois Blocher », et la votation a servi de test de popularité pour l’UDC et son champion.

Le contenu des lois

Ces deux lois marquent un durcissement radical de la politique d’immigration suisse. Avant tout, la loi sur les étrangers (LEtr) établit une distinction entre les candidats à l’immigration issus de l’UE ou de l’AELE et ceux venant de « pays tiers » : lorsqu’ils postulent pour un emploi, ces derniers ne seront acceptés que « s’il est démontré » qu’aucun travailleur suisse ou européen « correspondant au profil requis n’a pu être trouvé ». Car on n’admettra que les étrangers « rentables » : « l’admission des étrangers en vue de l’exercice d’une activité lucrative doit servir les intérêts de l’économie suisse ».

Il devient donc quasiment impossible d’entrer en Suisse lorsqu’on vient d’un « pays tiers » et que l’on n’est pas jugé apte à « servir les intérêts de l’économie suisse ». Les conditions du regroupement familial sont durcies, et tout a été prévu pour que les demandeurs soient déboutés sans même que leur dossier soit examiné (loi sur l’asile). Ainsi, toute personne qui ne pourra pas présenter de pièce d’identité valable verra son dossier refusé, or ce sont souvent les demandeurs d’asile les plus menacés dans leur pays qui ne possèdent pas de papiers. Par ailleurs, tout demandeur venant d’un pays jugé « sûr » sera automatiquement renvoyé dans ce pays : il suffit de regarder quels sont les pays limitrophes de la Suisse pour comprendre que toute personne arrivant par la voie terrestre et arrêtée à la frontière n’aura aucune chance d’obtenir l’asile... Impossible de citer ici intégralement toutes les mesures prises pour se débarrasser des « étrangers », comme la privation automatique de toute aide sociale pour une personne dont la demande aurait été déboutée...

Quand les concepts élaborés par les Nazis refont surface en Suisse

Car le plus effrayant, c’est de lire ces lois en entier (1) et d’observer leur caractère logique et systématique : tout a été pensé en vue de limiter au maximum l’entrée des indésirables, quitte à interpréter parfois très librement les principes de la Convention Européenne des Droits de l’Homme... C’est qu’à « l’intérêt économique de la Suisse » déjà évoqué se greffe dans l’article 3 de la LEtr une autre préoccupation, d’ordre « socio-démographique. » Cette notion a une longue histoire, commentée par J.M.Doliveau dans un article publié sur le site du collectif genevois « stopexclusion » (2) : la première loi fédérale réglementant l’immigration, qui date de 1931, avait érigé en critère légal la notion d’« Überfremdung », utilisée à l’époque par le régime national-socialiste allemand pour désigner la crainte d’un « enjuivement » de la population, et traduite dans le texte suissse par la notion de « surpopulation étrangère ». C’est cette idée que la LEtr reprend dans son article 3 en précisant que « lors de l’admission d’étrangers, l’évolution socio-démographique de la Suisse est prise en considération »...

Imaginez, maintenant : De Villiers ou Le Pen nous concoctent une loi sur l’immigration, puis soumettent cette loi à un référendum : vous votez ou pas ?

Les anars genevois et les votations

En guise d’ouverture, un petit aperçu de l’attitude de certains libertaires/anarchistes genevois (ou qui se définissent comme tel : ce n’est pas à nous d’en juger.) Il y a ceux qui sont à peine au courant qu’il y a des votations. Il y a aussi ceux qui se refusent à voter, arguant que, de toute façon, la partie était perdue d’avance. Car le système du référendum est compliqué par le fait que la consultation est « populaire et cantonale » : pour obtenir le rejet de la loi, il fallait une majorité de « Non » de la part de la population, mais aussi sur le total des cantons... On pourrait penser que ces votations ne sont donc, en définitive, qu’un moyen de faire taire la contestation : « On vous a demandé votre avis, il y a eu vote, maintenant fermez-la... ». Et effectivement, les mouvements sociaux sont plutôt rares en Suisse. Le problème, c’est que ceux qui à Genève ne votent pas semblent plutôt fatalistes, et ne mènent pas de véritable campagne contre les lois Blocher.

D’autres enfin croient en l’utilité du vote pour se faire entendre et amener à un changement des mentalités, quel que soit le résultat final : au moins, ils auront gueulé... même si c’est « contre un mur », comme ils disent.

En tout cas, lorsque l’on voit 68% des votants, dans un référendum, approuver l’adoption de lois fascistes, et que la rue ne semble pas réagir, on peut se demander quel est le meilleur moyen pour faire entendre une protestation.

Cha

(Fédération Anarchiste- Groupe de Strasbourg)


(1) Sur le site de la Confédération : www.admin.ch

(2) www.stopexclusion.ch

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