L’Anarchie n°1
Le août 2001
Dans les compte-rendus des manifestations de Gênes, les médias ont souvent utilisés le terme d’anarchiste comme synonyme de casseur. Pourtant le rapport à la violence, et donc à la non-violence, au sein de la mouvance libertaire est plus complexe que la vision manichéenne des médias « institutionnels » ne le laisse supposer. Nous estimons qu’un éclaircissement est nécessaire.
Pour commencer, donnons une définition succincte (et centré sur le thème de la violence) de l’anarchie : « Il est possible d’affirmer que le projet anarchiste est précisément l’élimination de la violence de l’organisme social et, par conséquent, également l’abolition des rapports de domination et de toute structure hiérarchisée de la société, ces dernières n’étant jamais que les formes ritualisées et institutionnalisées d’une violence toujours présente, mais de manière plus indirecte. L’anarchie signifie d’une part la fin de l’accaparement de la violence légitime par une communauté d’individus (abolition de l’État) et d’autre part l’élimination de l’utilisation de la violence et de tous les autres moyens coercitifs comme prétendus remèdes sociaux. Elle ne se limite donc pas à l’abolition de l’État, elle est réellement une nouvelle forme d’organisation sociale (qui reste à élaborer dans le futur et que l’on prépare dans le quotidien) ». (Xavier Bekaert, Anarchisme, violence, non-violence)
À Gênes, tous les manifestants violents n’étaient pas anarchistes, et tous les anarchistes n’ont pas été violents. L’immense majorité des libertaires se trouvaient dans les cortèges dits pacifistes et étaient regroupés au sein du collectif « Anarchistes contre le G8 ».Les membres de ce collectif luttaient, à leur manière, contre toutes les formes de violences, qu’elles soient capitalistes ou étatiques : chômage, précarité, inégalité, rapport dominant-dominé, répression ?
Si une partie du mouvement anarchiste recours à l’action violente, celle-ci n’est pas gratuite et se focalise sur des symboles du capitalisme (grandes banques, Mc Donald, magasins de luxe) ou de l’État (commissariat). Du point de vue des anarchistes formant les Black Blocs, l’action de rue est une défense face à la violence quotidienne du système capitaliste et étatique. Si nous comprenons les motivations de ces actions offensives face à des symboles de l’oppression, nous, groupe de Strasbourg de la Fédération Anarchiste, ne les reconnaissons pas comme nôtres.
Pour nous, la violence est le pire des moyens d’action. Il ne fait appel ni à la réflexion, ni à la conscience. Qui dit violence, dit domination et, par conséquent, inégalité entre les individus. Aussi nous essayons, dans la mesure du possible, d’être non-violents. Nous ne voulons pas d’une société qui règle ses différents par le conflit. C’est ainsi que dans notre lutte
contre l’État (qui a le monopole de la violence d’un point de vue légal), nous privilégions la non-violence. Les conflits sont inévitables. Mais nous estimons que le degré d’avancement d’une société peut se mesurer à sa capacité à les gérer de
manière non-violente et radicale (en s’attaquant à la racine). En utilisant la violence, on ne fait que superposer un nouveau conflit à celui que l’on cherche à résoudre.
La forme étatique et capitaliste de nos sociétés porte en elle les germes de la violence. La structure hiérarchique est l’une de ces manifestations. Elle engendre un rapport de force constant. Une société où règnerait l’égalité sociale se prémunirait de ce type de conflit et faciliterait les relations entre les individus.
Nous pensons que les moyens influent sur la fin. C’est pour cette raison que nous croyons que l’anarchie viendra moins d’une révolution violente que d’une évolution graduelle. Lutter par la violence contre la violence, ne fait que légitimer cette dernière. Ainsi nous privilégions d’autres formes d’action directe telle que la désobéissance civile, l’abstention, la grève
générale et auto-gestionnaire (c’est-à-dire en redémarrant la production au profit des travailleurs). Néanmoins, nous sommes conscients qu’il existe des moments où il ne reste que ce moyen pour se défendre. Ainsi en 1936, des centaines de milliers d’anarchistes espagnols ont pris les armes contre les franquistes. Il s’agissait pour eux de défendre leur liberté, et surtout la libre mise en commun des terres et des moyens de production. Combat souvent continué en France, sous l’occupation, au sein du FTP-MOI (Franc Tireur Partisan - Main d’oeuvre Immigrée).
Tout en préconisant la non-violence, les anarchistes estiment que c’est aux individus de prendre leurs responsabilités et de déterminer les moyens d’action les plus appropriés face à une situation donnée.
Le stade le plus proche de l’anarchie pure serait une démocratie basée sur la non-violence.
Gandhi (De Harijan, 13 janvier 1940)
Si les hommes sont des êtres raisonnables, alors leurs relations doivent être basées sur la raison, sur l’esprit, et non sur la violence des hommes qui par hasard ont accaparé le pouvoir. Et c’est pourquoi la violence du gouvernement ne peut se justifier en aucun cas.
Léon Tolstoï (Rayons de l’aube, p.387)
On ne le dira jamais assez, l’anarchisme, c’est l’ordre sans le gouvernement ; c’est la paix sans la violence. C’est le contraire précisément de tout ce qu’on lui reproche soit par ignorance, soit par mauvaise foi.
Hem Day (Violence - Non-violence - Anarchie, dans L’Unique n° 54, 55 et 58, en 1951)
La violence défensive peut quelque fois paralyser une violence offensive. Mais ne la considérez-vous pas comme une défaite ? Elle vous force à descendre sur le terrain de l’adversaire, à adopter ses méthodes et ses moyens. Utile quelque fois contre telle violence déterminée, elle ne saurait détruire le principe même de la violence et diminuer la violence en général !
Han Ryner
Ce n’est pas en violantant et en frappant les hommes que nous voulons affranchir que ce but rénovateur sera atteint. Ils croiront d’avantage, au contraire, à la nécessité du despotisme, et approuveront toutes les entreprises liberticides dirigées par les meneurs d’hommes contre les indisciplinés.
André Lorulot (Les théories anarchistes)
L’ensemble des théoriciens anarchistes qui ont écrit sur la violence admettent qu’elle n’a rien à voir avec les principes mêmes de l’anarchie. Certains reconnaissent qu’elle peut ou doit être utilisée dans la lutte libératrice comme moyens d’action, sans jamais en faire un principe intangible.
Tolstoï